Légendes et chansons de gestes canaques de Louise Michel - VIII - Les jeunes filles d’Owié
Publié le 10 Avril 2019
Journal des intérêts maritime, commerciaux & agricoles
paraissant tous les mercredis.
Jusqu’à présent on s’est beaucoup occupé de faire prospérer la Calédonie, mais on n’a jamais senti le besoin de chercher à conserver les traditions et les légendes des tribus qui, refoulées de plus en plus, disparaîtront bientôt ou du moins verront nos us et coutumes remplacer les leurs sans qu’il en reste même de trace. Quelques voyageurs ont écrit des romans auxquels on a cru tant qu’on n y est pas venu voir, mais alors il a fallu abandonner les idées faites d’avance.
Comme le dit l’auteur des chants que nous sommes heureux de donner à nos lecteurs, il est grand temps, si l’on veut garder quelque chose de pur et d’intact des chants de ces grands enfants de la nature, et nous ne pouvons que la féliciter de la tâche entreprise par elle et menée à si bonne fin.
C’est bien là ce ton mélancolique, ce sont bien là ces chants uniformes et tristes que la nuit quelquefois l’on entend sortir d’une cour isolée ou qui s’élèvent tout à coup autour d’un brasier à demi éteint.
C’est bien là ce chant de guerre que doivent vociférer nos insulaires ; les pilous pilous pacifiques que nous avons autrefois vu exécuter à Nouméa peuvent nous en donner une idée. Mais ne retardons pas plus longtemps le plaisir que procurera certainement à nos lecteurs le travail inédit que nous lui offrons :
VIII
Les jeunes filles d’Owié
Est-ce un flot écumant qui descend la montagne ? Est-ce la fleur des niaoulis que roule le vent ? Non, ce sont les blanches plumes dont les filles d’Owié couronnent leurs chevelures.
Elles paraissent plus noires que la nuit, les filles d’Owié.
Préparez la chanson des fêtes, ô jeunes gens ! Voici vos fiancées sur le versant des collines ; elles répondent de loin à la chanson des pêcheurs.
Sur la rive s’assemblent les femmes ; les hommes sont sur la mer. Elle est toute couverte de pirogues, on dirait des cygnes.
Chantez ô pêcheurs ! la pirogue fend les ondes ; elle s’en va, cherchant fortune.
Le grand poisson, aux écailles changeantes comme l’onde, bondit à fleur d’eau.
Le serpent de mer se balance nonchalant sur la rive et le poisson-diable se détache noir entre les branches rouges de coraux.
L’océan fleurit et s’emplit de richesses pour les fils des tribus.
Pour les prendre, il ne faut qu’oser, il faut se lancer dans l’onde, monter sur la pirogue ou jeter la sagaie du rivage.
Les femmes, frappant contre terre les bambous au son lourd ou grattant la branche de palmier, accompagnent les chants.
Le soleil disparaît derrière la montagne ; les flots mugissent en léchant la grève : l’heure est propice et les esprits qui habitent sous l’onde poussent la prise dans les filets.
Voguez, voguez, pirogues légères, que les filets se gonflent de richesses ; frappez juste sagaies à la blessure mortelle et que de longtemps la tribu n’ait plus faim.
Légendes et chansons de gestes canaques - Wikisource
Une grande partie des vocabulaires de ce livre est due à un Canaque fort intelligent, Daoumi, qui parfois faisait des réflexions judicieuses sur certaines coutumes nationales, par exemple celles de
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