Légendes et chansons de gestes canaques de Louise Michel - III Les souffles

Publié le 5 Avril 2019

Légendes et chansons de gestes canaques
1875
 

 

Petites Affiches de la Nouvelle Calédonie
Journal des intérêts maritime, commerciaux & agricoles
paraissant tous les mercredis.

 

Jusqu’à présent on s’est beaucoup occupé de faire prospérer la Calédonie, mais on n’a jamais senti le besoin de chercher à conserver les traditions et les légendes des tribus qui, refoulées de plus en plus, disparaîtront bientôt ou du moins verront nos us et coutumes remplacer les leurs sans qu’il en reste même de trace. Quelques voyageurs ont écrit des romans auxquels on a cru tant qu’on n y est pas venu voir, mais alors il a fallu abandonner les idées faites d’avance.

Comme le dit l’auteur des chants que nous sommes heureux de donner à nos lecteurs, il est grand temps, si l’on veut garder quelque chose de pur et d’intact des chants de ces grands enfants de la nature, et nous ne pouvons que la féliciter de la tâche entreprise par elle et menée à si bonne fin.

C’est bien là ce ton mélancolique, ce sont bien là ces chants uniformes et tristes que la nuit quelquefois l’on entend sortir d’une cour isolée ou qui s’élèvent tout à coup autour d’un brasier à demi éteint.

C’est bien là ce chant de guerre que doivent vociférer nos insulaires ; les pilous pilous pacifiques que nous avons autrefois vu exécuter à Nouméa peuvent nous en donner une idée. Mais ne retardons pas plus longtemps le plaisir que procurera certainement à nos lecteurs le travail inédit que nous lui offrons :

III

Les souffles

Qui donc a soufflé sur vous, filles d’Owoué, et qui donc vous poursuit ?

Avez-vous dormi sous l’arbre aveuglant ? pour que vous couriez ainsi devant vous sans voir qu’il en manque une chaque fois que vous passez sur le sommet des gouffres !

C’est qu’à chaque fois l’abîme en boit une.

La première, c’était Kéa la fille noire, grande comme un niaouli, elle a tendu les bras et a sauté.

La seconde, c’était Héri, la fleur de corail, elle a répondu : me voici et elle s’est jetée.

La troisième, c’était Sira, l’aérienne, elle a crié : j’y vole et s’est précipitée.

À qui donc tendais-tu les bras, ô Kéa ? à qui répondais-tu Héri ? vers qui volais-tu Sira ?

Elles ne savent, elles allaient vers les souffles qui appellent, poussées par les souffles qui poursuivent.

https://fr.wikisource.org/wiki/L%C3%A9gendes_et_chansons_de_gestes_canaques

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