Dans la langue Mapuche, le mot "mort" n'existe pas
Publié le 3 Février 2019
L'effacement de l'identité mapuche dans la mort et la naissance est l'un des piliers que le christianisme a installé sur notre territoire. Croix à la mort, et douleur à l'accouchement
Par Veronica Azpiroz Cleñan*
1er février 2019 - Ma grand-mère, Manuela Díaz de Cleñan, a commencé ce matin son dernier voyage vers le wenu mapu, l'espace bleu. Les anciens disent qu'elle est montée sur son sulky, plein de citrouilles, de patates douces et de pastèques. Elle avait beaucoup de graines dans ses poches. Parmi elles, le maïs et le blé pour éviter la famine. On dit que les Anciens l'attendent. Il y aura du bon cochon de lait rôti et de l'agneau pendant ces quatre jours, parce qu'elle aimait manger ça et sûrement de la dinde aussi.
Sa transformation en pur esprit a commencé aujourd'hui, le 26 janvier et s'achèvera en quatre jours. J'espère entendre les tue tue , pour me prévenir qu'elle est bien arrivée. Qu'il y a eu une rencontre avec sa lignée ancestrale.
Évidemment, son repos ne se fera pas autour de la Laguna La Azotea, un cimetière historique mapuche qui n'est pas encore aménagé à Los Toldos. Nous savons tous que ce conflit n'a pas été résolu et qu'il s'agit d'une dette de la direction actuelle et future : reconnaître les espaces sacrés et les rituels mortuaires de la nation mapuche comme un droit. Droit à une bonne vie et droit à une bonne mort.
L'État a interdit aux Mapuche d'enterrer leur peuple à La Azotea depuis 1901 et la municipalité General Viamonte est aujourd'hui responsable de la perpétuation de cet obstacle.
Ma grand-mère sera toujours dépouillée de sa culture, de son territoire. Son esprit reviendra dans les aubes et les crépuscules lumineux, entouré par les chants des grillons, des grenouilles, des calandres, des chajás, des teros et des renards.
Quand le jour se lève - enfant - je voyais toujours ma grand-mère faire son jejipun, sa prière matinale devant une fenêtre de sa cuisine tournée vers l'est, dans sa belle maison en pisé, pleine de fleurs. Je ne l'ai jamais vue pauvre la maison de ma grand-mère. Je la sentais belle. Une cour de terre balayée par elle le matin, pleine de poulets qu'elle nourrissait aussi de son maïs. Elle ne m'a jamais expliqué pourquoi elle faisait son jejipun avec de l'herbe. Mais, oui. Je l'ai vue le faire.
Manuela était mère de huit enfants et grand-mère de trente-cinq petits-enfants, arrière-grand-mère de plus de dix arrière-petits-enfants. Je suis la première de toutes ses petites-filles. Manuela était une femme élégante. Ses pommettes saillantes montraient toujours son visage de kulxug, même si elle n'assumait pas publiquement le fait d'être femme mapuche. Son visage l'annonçait ainsi que son teint foncé. Son quotidien la disait : femme Mapuche qui organise et ordonne son environnement
Elle avait une relation de genre difficile avec mon grand-père. Comme toutes les femmes mapuche, elle a appris à faire taire ses peurs dans les silences du coucher du soleil. Plus dangereux étaient les wigka qui venaient prendre son champ, que le vieil homme qui rentrait parfois ivre à la maison le soir. Elle comprenait parfaitement quel était le danger réel. Elle a appris à défendre son territoire avec son agriculture : elle plumait les poules, elle en faisait de la graisse pour le soin de sa famille. Les nuits d'orage, elle savait quoi faire pour dialoguer avec les pu newen afin que cela n'affecte pas leur maison, leurs animaux.
Manuela ne savait pas lire et écrire en espagnol. Mais elle connaissait la langue de son pays : elle prenait soin de l'ancienne semence, la chérissait et la semait toujours à nouveau. Aujourd'hui encore, après cinq ans de retour sur le territoire, je ne sais pas comment cultiver le verger comme elle. Depuis quatre heures du matin, elle tapisse sa ferme pour nourrir ses enfants : combien de femmes mapuche s'occupent actuellement des semences, les cultivent et nourrissent leurs enfants ?
Un enterrement digne, pour moi c'est un enterrement avec les rituels de la culture à laquelle elle appartenait. Ce n'est pas ce que ses enfants ont compris. Ils ont été gagnés par la colonisation. L'effacement de l'identité mapuche dans la mort et la naissance est l'un des piliers que le christianisme a installé sur notre territoire. Des croix au moment de la mort et des douleurs à l'accouchement. Symboles et croyances qui sont reproduits et reproduits. L'autre grande caractéristique de l'évangélisation est l'autoritarisme. La catholicité, c'est cela : la prétention d'universaliser une croyance et ses rituels par rapport aux autres religions et croyances.
Qu'est-ce qui est déclenché dans les familles mapuche pour porter leur défunt membre de la famille dans un tiroir avec une croix et peut-être voir un prêtre avec un visage de circonstance, accomplir des rituels inintelligibles et lire des phrases inertes pour la culture mapuche, quelle sera la sauvagerie que le christianisme a condamnée pour que l'Etat se fasse l'écho de l'universalisation de cette manière de mourir et d'être enterré ?
Durant ces quatre jours du voyage de ma grand-mère à la rencontre de ses ancêtres, nous mangerons ce qu'elle aimait. Nous boirons du vin en sa mémoire, son préféré : le vin blanc. Nous ferons nos rituels parce que malgré la tentative d'effacement d'identité, certains de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants aiment la façon mapuche de comprendre la vie et la mort. Sans larmes, sans vide, mais avec une réflexion profonde sur les cycles de la vie, les cycles naturels que nous accompagnons avec notre existence et le cycle que Manuela a terminé et commencé.
Le mot "mort" n'existe pas dans la langue mapuche pour décrire cet état chez les gens. Quand quelqu'un meurt, ont dit "mapulugün". Mapulugün va devenir un territoire. Manuela, c'est déjà le territoire, la vie. C'est pourquoi, avec Kajfükura, nous continuerons à affirmer qu'il n'y a pas de mort : "Dans les enfants de mes enfants, je ressusciterai". Küme rupu ñi chuchu Manuela ! Pewmagen ñi püjü remapuchegeigeiñ !
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*Veronica Azpiroz Cleñan vient de la communauté mapuche Epu Lafken - Los Toldos.
traduction carolita d'un article paru sur Cosecha roja
En la lengua mapuche no existe la palabra muerte
Esta mañana mi abuela, Manuela Díaz de Cleñan, inició su viaje final al wenu mapu, al espacio azul. Dicen los antiguos que subió en su sulky, lleno de zapallos, camotes y sandias. En los bolsi...
http://cosecharoja.org/no-existe-la-palabra-muerte-en-la-lengua-mapuche/