Mexique - Ayotzinapa, dans le coeur de la patrie

Publié le 27 Septembre 2018

Depuis les confins de l'État du Guerrero, où règnent la violence et le pouvoir cacique, les 43 familles qui survivent dans les campagnes ont dû quitter la Costa Chica, la Montaña et la Zona Centro pour mener une lutte héroïque à la recherche de leurs enfants disparus.
Au milieu de ces territoires occupés par des cellules criminelles qui patrouillent les autoroutes et les routes pour assurer le transfert de drogues, les étudiants d'Ayotzinapa ont dû faire face à de nombreux moments difficiles, qui les ont placés sur le fil du rasoir pour défendre leur droit à l'éducation. Depuis Francisco Ruiz Massieu, en passant par Rubén Figueroa, René Juárez, Zeferino Torreblanca et Ángel Aguirre Rivero, l'usage de la force a été systématiquement et excessivement appliqué comme seule issue aux anciens conflits d'Ayotzinapa. La méthode consiste à réprimer, assassiner et même faire disparaître les enfants des paysans et des indigènes. Ils ont porté le stigmate d'être un nid de guérilleros, d'être catalogués comme des vandales, de les renommer en ayotzinapos pour souligner le racisme qui prévaut parmi la classe politique analphabète contre les étudiants pauvres.

Les corporations policières et l'armée elle-même font partie des auteurs de ces actes de violence dont le but est de détruire un projet éducatif qui a été le berceau de la conscience sociale chez les guerrerenses.

Les gouverneurs, les secrétaires de Gouvernement et les présidents de la République, à leur tour, ont toujours le feu rouge d'Ayotzinapa allumé. C'est une question d'Etat, où l'appareil de sécurité participe à la prise de décisions prises contre les normalistes. Pour leur combativité et leur persévérance exemplaire dans la défense d'un modèle éducatif lié à la justice sociale, ils ont réussi à articuler un mouvement national sans précédent, uni au sein de la Fédération des Etudiants Paysans Socialistes du Mexique, qui a su brandir les drapeaux pour défendre le projet éducatif de la révolution mexicaine.

Les autorités ne les ont jamais reconnus comme des acteurs légitimes et encore moins traités avec dignité comme des étudiants normalistes. Au contraire, la vision autoritaire du pouvoir politique est de les traiter avec la botte militaire en les considérant comme des criminels et des guérilleros. L'un des moyens les plus efficaces de décimer la force des élèves de l'école normale est de réduire le nombre d'inscriptions à chaque année scolaire et de réduire leur budget.

Le casque de l'ex hacienda d'Ayotzinapa  n'est pas touché par l'acier de ces jeunes gens qui, au milieu de la précarité économique, gardent leur idéologie robuste comme une école normale rurale. Nous ne pouvons ignorer que la plupart de ces élèves ont appris à écrire et à lire en accompagnant leurs parents dans les semailles de la faim. Ils savent très bien comment cultiver le maïs et comment survivre sur les collines, où il n'y a pas de travail pour gagner sa vie.

La vigilance permanente de la police et de l'armée contre les étudiants d'Ayotzinapa n'a pas fait exception la nuit du 26 au 27 septembre 2014. Grâce aux enquêtes du GIEI, nous savons aujourd'hui qu'une grande opération a été montée à laquelle ont participé plusieurs corporations municipales, étatiques, ministérielles, fédérales et l'armée elle-même. Ils ont alimenté la persécution et provoqué une augmentation de la violence alors que les étudiants tentaient de quitter Iguala avec les bus qu'ils avaient pris. La tragédie d'Iguala a révélé le visage sanglant d'un pays plongé dans la violence et piégé dans les filets de la macro-criminalité. Pour le gouvernement fédéral, il était nécessaire de créer une version des faits qui pourrait minimiser l'action criminelle des agents de l'État complices du crime organisé afin de contrôler les dommages et d'atténuer la responsabilité des hautes sphères du pouvoir. La vérité historique a été ébranlée par la supervision internationale, qui a réussi à briser la coquille de ce système ancré dans la corruption, démontrant scientifiquement que l'incinération des 43 étudiants dans la décharge Cocula était matériellement impossible.

Au fur et à mesure que les enquêtes du GIEI, du Mécanisme Spécial de Suivi de la CIDH, du Bureau au Mexique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme et de la Commission Nationale des Droits de l'Homme elle-même ont progressé, la version officielle s'est effondrée et la parole présidentielle est tombée en déshonneur.

Le jugement novateur rendu par les juges du premier tribunal collégial du dix-neuvième circuit basé à Reynosa, Tamaulipas, qui a ordonné la création d'une Commission Spéciale d'Enquête sur la Vérité et la Justice (affaire Iguala), est une fissure qui nuit structurellement au récit de la vérité historique. En même temps, il représente une opportunité de grande importance en ce moment important pour les mères et les pères de famille qui, ce mercredi 26, parcourront les principales avenues de la ville de Mexico. Ils marcheront avec un cri d'espoir renouvelé, avec le désir profond d'atteindre la vérité et de chérir la justice.

La rencontre avec le président élu Andrés Manuel López Obrador condense la multiplicité des luttes qui, dans tout le pays, ont permis à des milliers de familles de mettre fin à ce cauchemar. Dans un mouvement exemplaire qui place les victimes de la violence au centre de l'action politique de l'État, qui fait resplendir la vérité dans ce Mexique qui nous blesse tous. En ce quatrième anniversaire, Ayotzinapa vit au cœur de la patrie.

Directeur du Centre des Droits de l'Homme de Tlachinollan.

Traduction carolita d'un article paru sur le site Tlachinollan.org le 26 septembre 2018

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #Peuples originaires, #Ayotzinapa

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article