Poésie amérindienne : Virginia Pésémapéo Bordeleau
Publié le 2 Mars 2018
Virginia est une artiste métisse Crie, multidisciplinaire, peintre, romancière, poète, diplômée en arts plastiques.
Elle est née en 1951 au Canada en Abitibi Témiscamingue
Ses oeuvres malgré des sujets sombres parlent aussi de la lumière et de l'espoir. Ses textes s'inspirent aussi de son vécu douloureux, de la perte de son fils de 37 ans qu'elle a accompagné jusqu'au bout.
«J’ai brûlé le riz. Le chaudron carbonisé. Comment te dire que le soleil est mort ce jour-là. Effondré derrière ton front figé dans l’azur de ton œil. Une femme entend des airs anciens. Ceux qui te faisaient rire. Elle danse et rit. Un balai comme partenaire. Personne ne veut d’une femme qui pleure. Alors même seule, je pousse le chant.»
Virginia Pésémapéo Bordeleau
Ourse Bleue (extrait)
La porte vers l'infini
Je rêve. Un homme marche avec des raquettes aux pieds. Il avance péniblement. La faute n’en est pas à la neige dure, mais à l’état de l’homme lui-même. Le jour décline. C’est un rêve insolite, comme si la réalité s’y mêlait. Soudain je me retrouve en cet homme. J’ai mal et j’ai peur, une peur liée à un sentiment de panique. Je me sens gibier. Ma peau se hérisse sous l’effet de la douleur. Dans ma jambe droite, les crocs d’un animal s’impriment et me tirent vers le bas. Je hurle dans mon sommeil. Daniel me secoue. Réveillée, je me redresse brusquement et prends conscience de l’endroit. Nous sommes sous la tente, des larmes de soulagement et de peine coulent de mes yeux.
Daniel m’écoute dans la nuit…
Alors que Tom, l’Américain, le tenait en haleine par sa bibliothèque fournie sur l’histoire de la Compagnie de la Baie d’Hudson, mon petit-cousin Stanley continuait à me livrer des détails sur la disparition de son grand-père George. Il fouilla parmi des rouleaux de cartes du territoire cri. Il en déroula une vieille, qu’il manipula avec soin et l’étendit sur l’immense table trônant au milieu de la salle. De son doigt, il m’indiqua une partie encerclée de rouge. « C’est le territoire de trappe de George », me dit-il.
Réfléchissant à haute voix, je lui demandai : « Où son corps peut-il bien être là-dessus ?
— Ah ! Tu ignores que des os ont été retrouvés… »
Aux prises avec une montée de fièvre, ma respiration s’accélère. « Raconte-moi, Stanley, je ne savais pas que le grand-oncle avait été retrouvé ! »
Au printemps de 1970, des prospecteurs blancs à la recherche de minerai ont un jour déterré des ossements au cours de leurs fouilles. Avec une surprise mêlée d’horreur, ils réalisèrent qu’il s’agissait d’un tibia et d’un pied humains. Le reste du corps manquait. Ils rapportèrent cette découverte aux autorités qui firent analyser les os, afin de déterminer l’âge et le sexe du défunt. Comme la famille de George déclara sa disparition en février 1953, et que les os appartenaient à un homme de son âge, on remit ces vestiges à sa famille. Un fait étrange cependant, les ossements dormaient loin du territoire de l’oncle George. Des gens de son clan retournèrent en vain la terre autour de l’endroit de la découverte, jamais le reste du squelette ne réapparut.
Prières pour la Terre-Mère
Daniel reste silencieux. Un moment, je le crois endormi, mais sa main se pose sur mon ventre. Un geste de tendresse, de consolation.
« Et, ce n’est pas tout, lui dis-je, Stanley a parlé de marques de crocs sur les ossements. Daniel, le grand-oncle a été dévoré mort ou vif, probablement par une meute de loups affamés. Je me souviens que koukoume Ka Wapka Oot parlait d’une période de famine. Si le gibier manquait pour les hommes, il manquait aussi pour les loups… »
J’ai l’impression que je vois la scène. De nouveau, je sens la terreur monter en moi. Cela doit cesser, je crains de perdre la raison car je ne rêve plus. Je comprends que George courait devant lui, fuyant les carnassiers, perdant ses repères et tout son courage.
« Mes rêves, dis-je, mes derniers rêves me prévenaient. George n’est pas parti, son esprit rôde là-bas, il demande de l’aide ! Je dois trouver le moyen d’apaiser son esprit. »
(Ourse bleue, Montréal, Pleine Lune, 2007, p. 42-44)
http://www.nativelynx.qc.ca/litterature/virginia-pesemapeo-bordeleau/
Le crabe noir - Virginia Pésémapéo Bordeleau
Depuis le paysage stérile, La neige sur les traces du renard, Ton pas, celui du territoire, à grandes foulées. Tu vois au-delà de la fourrure sombre des forêts, Tu vois ces ruisseaux qui expir...
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