De grandes organisations de conservation impliquées dans la crise de santé publique des "pygmées".

Publié le 14 Janvier 2018

Une organisation congolaise a récemment exprimé sa préoccupation concernant l'implication de projets de conservation de la nature dans la mort de plusieurs dizaines d'enfants, pour la plupart des pygmées Bayakas, lors d'une épidémie en République du Congo en 2016. Il s'agit du dernier en date d'une longue liste de rapports connexes.

Selon un expert médical, les décès sont imputables au paludisme, à la pneumonie et à la dysenterie, aggravés par une malnutrition sévère.

La relation entre la conservation de la nature et la malnutrition des enfants Bayakas dans la région est rapportée depuis au moins 2005, étant donné que les gardes du parc empêchent les bayakas de chasser et de se rassembler sur leurs terres par le recours à la violence et à l'intimidation.

Ces gardes forestiers sont financés et équipés par la Wildlife Conservation Society (WCS), l'une des plus grandes organisations de conservation du monde, ainsi que par la société forestière CIB à laquelle elle est associée. Aucune de ces organisations n'a pris les mesures nécessaires pour prévenir les abus dont souffrent les Bayakas.

"Les gardes du parc nous maltraitent. Ils ne veulent pas qu'on aille dans les bois. Comment nourrir nos enfants?" demandait à Survival en 2016  un homme Bayaka de Mbandza, sur le site de l'épidémie.

Ces gardes forestiers sont accusés d'abuser des bayakas et de voler leur nourriture depuis plus de 13 ans. L'une de ces attaques, qui a eu lieu à Mbandza au début de l'année 2016, a laissé un homme hospitalisé.

Les Bayakas sont ainsi expulsés illégalement de leurs terres ancestrales sous la menace et la violence. Comme l'a expliqué une femme Bayaka:"Si nous allons dans la forêt, nous mangeons bien, comparé au village. Nous mangeons des ignames sauvages et du miel. On veut aller dans les bois, mais ils nous interdisent. Ça nous fait peur. Ça nous fait peur."

Les critiques ont fait remarquer que les gardes n'ont pas non plus réussi à protéger la faune sauvage dont dépendent les bayakas pour se nourrir, parce qu'ils ont du mal à faire face à la corruption et à la création de routes pour l'exploitation forestière, les deux principaux moteurs du braconnage.

Depuis 2006, des informations ont été fournies sur l'effondrement de l'état de santé des bayakas vivant dans les aires protégées de Dzanga-Sangha en République centrafricaine, un des projets clé du Fonds mondial pour la nature (WWF). Les conditions dans lesquelles les femmes âgées se retrouvent "pourraient être considérées comme une crise de santé publique pour les agences internationales de santé", selon une étude publiée en 2016.

En outre, il y a eu des rapports faisant état d'une augmentation de la malnutrition et de la mortalité parmi les pygmées au Cameroun, où le WWF opère également, et parmi les pygmées Batwas ailleurs où WCS a des projets, dans l'est de la République démocratique du Congo.

"Maintenant, nous avons peur des patrouilles anti-vandales. Auparavant, quand une femme accouchait, nous l'emmenions dans la forêt pour lui redonner force et poids; maintenant, nous ne pouvons plus le faire. On emmenait nos enfants dans les bois pour éviter les épidémies. Nous connaissons maintenant des maladies dont nous n'avions jamais entendu parler", a dit une femme Baka du Cameroun à Survival.

Ni le WCS ni le WWF n'ont tenté d'obtenir le consentement des peuples indigènes, comme l'exigent leurs propres politiques et procédures de base en matière de droits humains.

Selon le directeur de Survival International, Stephen Corry,"le vol de terres est un crime grave et mortel, comme le démontrent ces rapports. Nombreux sont ceux qui associent la conservation de la nature à la compréhension et à la compassion, mais pour les bakas et les bayakas, ce modèle de protection de la nature implique une violence insensée et une santé en chute libre. Quand des organisations comme le WWF et la WCS commenceront-elles enfin à se conformer à leurs propres politiques en matière de droits humains?

Dans cette vidéo (en espagnol), les Bakas décrivent les abus qu'ils subissent à la suite des projets de conservation du WWF.

https://www.youtube.com/watch?v=e7VqobxsN1Q

La santé des bakas est menacée par les projets de conservation de la nature.

Dans le bassin du Congo, les bakas, les bayakas et des dizaines d'autres peuples forestiers sont illégalement expulsés de leurs terres ancestrales au nom de la protection de la nature. En conséquence, leur santé s'est effondrée.

Les grands organismes de conservation qui soutiennent ces projets de conservation de la nature sur les terres qu'ils ont prises à ces tribus, comme le Fonds mondial pour la nature (WWF), refusent de se conformer aux normes internationales fondamentales et d'obtenir le consentement de ces peuples pour leurs initiatives de conservation.

Chronologie:

1996  L'organisation Berggorilla & Regenwald Direkthilfe révèle que la malnutrition et la mortalité ont augmenté parmi les" pygmées" Batwas depuis qu'ils ont été expulsés de Kahuzi-Biega, un parc national fondé par WCS dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).

1997  le WWF observe que le fait que l'on interdise aux bayakas de chasser et de récolter dans le Parc Dzanga-Ndoki, le parc de la République Centrafricaine (RCA) que le WWF a aidé à créer, “punit gravement" [les bayakas] et amoindrit leur sécurité alimentaire.

2000 Une étude révèle que les batwas de Kahuzi-Biega (RDC) souffrent de carences nutritionnelles car ils ne peuvent plus chasser dans la forêt, et d'un taux de mortalité très élevé. La malnutrition est particulièrement prononcée chez les femmes et les enfants.

2004 La BBC mène des recherches sur les concessions forestières de la compagnie CIB au Congo et recueille ces déclarations d'un homme Bayaka:"Nous souffrons beaucoup à cause des gardes forestiers. On ne peut pas aller chercher à manger dans les bois comme avant. Nous n'entendons que la faim."

2004 Des Bayakas d'une autre communauté congolaise ont dit à Greenpeace:"Puis nous avons rencontré un autre homme blanc[WCS] qui est venu nous dire d'arrêter de chasser et que les gardes du parc s'assureraient que nous ne le faisons pas. Maintenant, nous avons peur d'aller dans la forêt au cas où les gardes nous découvrent, alors nous devons rester dans le village (...) Maintenant nous sommes affamés."

2005 L'Observatoire Congolais des Droits de l'Homme, l'organisation qui a rapporté l'épidémie de 2016, documente trois cas d'abus violents contre les bayakas par des éco-gardes, et avertit que certains bayakas "meurent de faim".

2005 Un article de presse relate comment les bayakas décrivent être la cible de gardes forestiers dans l'une des concessions forestières de CIB. Ils sont maltraités et emprisonnés temporairement, ce qui a entraîné une augmentation de la malnutrition chez les enfants et les adultes vulnérables.

2006 Le WWF et ses partenaires commandent un rapport qui révèle que les Bayakas de Dzanga-Sangha (RCA) ont du mal à se nourrir. Les Bayakas interrogés pour le rapport affirment que le projet de conservation les a forcés à quitter certains de leurs lieux de chasse et de rassemblement les plus abondants. Ils prétendent que les gardes les harcèlent ou les attaquent même lorsqu'ils essaient d'utiliser les petites parcelles de terre qu'ils ont laissées, tout en acceptant les pots-de-vin des vrais braconniers qui vident la jungle de leurs bêtes sauvages. Le chercheur apprend que certaines femmes Bayakas ont tellement de difficulté à se procurer de la nourriture qu'elles ont été forcées de se prostituer dans une ville voisine.

2006 Un article publié par The Lancet souligne que l'état de santé des "peuples pygmées" est en train de changer alors que les forêts pluviales d'Afrique centrale, à la base de leur structure sociale, de leur culture et de leur économie traditionnelle de chasseurs-cueilleurs, sont détruites ou expropriées par (...) des projets de conservation de la nature."

2008 L'UNICEF avertit que le droit des Bayakas de collecter des ressources est " violé à son niveau le plus élémentaire parce que les populations indigènes n'ont plus accès aux zones où les proies de chasse sont abondantes", en raison des aires protégées au Congo."

2012 Un anthropologue ayant 18 ans d'expérience dans le travail avec les bayakas congolais rapporte une alimentation de plus en plus déficiente et une mortalité accrue. Il attribue cela à l'élimination de leurs ressources forestières par les bûcherons et à l'exclusion et à la sévérité injustifiée des pratiques de gestion des "conservationnistes".

2013 Un chercheur de l'Université d'Oxford décrit que l'impact combiné de la conservation et de l'exploitation forestière a entraîné un appauvrissement de la santé des bayakas et une plus grande dépendance aux drogues et à l'alcool. Il considère que les efforts de conservation seraient bénéfiques s'ils obtenaient le consentement de la population (tel qu'établi par le droit international).

2014 Une étude médicale révèle que les "mesures punitives contre le braconnage" et la diminution de la faune sauvage ont provoqué un effondrement de la santé des Bayakas à Dzangha-Sangha (RCA), en particulier chez les femmes. "Il est décourageant de voir à quel point la perte de santé est si étroitement liée (...) aux politiques de gestion de la conservation de la nature mises en œuvre au cours des 25 dernières années", déclare l'auteur de l'étude.

2015 Selon un médecin ayant une longue expérience des concessions forestières de CIB:"Outre les blessures infligées par les gorilles, les buffles et autres animaux de la jungle, mes collègues et moi voyons aussi des blessures chez des gens qui prétendent avoir été attaqués, parfois sans avertissement, par les protecteurs de la faune sauvage: les gardes forestiers."

2015 Le même médecin dit à Survival :" Je trouve que cette[violence des gardes] est un problème très grave et, à mon avis, les raisons pour lesquelles la plupart des gardes forestiers travaillent comme gardes sont très différentes de la protection des animaux."

2016 Un deuxième médecin ayant une grande expérience des concessions forestières de la CIB décrit à Survival la malnutrition saisonnière chez les bayakas, qu'elle attribue aux politiques répressives de conservation de la nature.

*"Pygmées "est un terme générique couramment utilisé pour désigner les peuples chasseurs-cueilleurs dans le Bassin du Congo et ailleurs en Afrique centrale. Certains Indigènes considèrent que ce terme est péjoratif et l'évitent, mais d'autres l'utilisent comme un moyen pratique et facilement reconnaissable de se référer à eux-mêmes.

traduction carolita d'un article paru dans Survival le 12 janvier 2017 : 

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