25 novembre - Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes : Soledad Barrett

Publié le 25 Novembre 2017

Il y a quarante-trois ans, la révolutionnaire paraguayenne Soledad Barrett a été assassinée au Brésil.

Par Andrés Colmán Gutiérrez

Le 11 décembre 2015, Soledad Barrett Viedma a été officiellement déclarée amnistiée politique, post-mortem, par la Commission d'amnistie du ministère brésilien de la Justice.

La petite-fille du grand Rafael Barrett a combattu les dictatures du Paraguay, de l'Uruguay et du Brésil. Elle a été tuée à Recife le 8 janvier 1973. Le caporal Anselmo, infiltré par le régime militaire dans les rangs de la révolution, l'a livrée. L'État brésilien s'est récemment excusé pour son meurtre.

Soledad Barrett et sa compagne Pauline Reichstul vendaient des vêtements dans la boutique "Chica Boa", lorsque cinq hommes sont entrés avec violence et les ont emmenées sous la menace d'une arme à feu. C'est la dernière fois que Sonja María Cavalcanti, la propriétaire du magasin, les a vues vivantes.

Il faisait chaud le 8 janvier 1973, dans le quartier de Boa Viagem à Recife, dans l'état de Pernambuco. La dictature militaire brésilienne a dévoré des vies humaines et des rêves de liberté.

Les kidnappeurs, vêtus en civil, étaient des agents de la DOPS (Delegacía de Ordem Política e Social), la police dictatoriale.

Soledad était paralysée quand elle a reconnu l'un d'eux. "Toi...! Pourquoi...?", dit-elle alors qu'elle était entraînée, sans la force de se battre, selon Sonja María.

"C'était lui...", a admis le propriétaire de la boutique devant la Justice brésilienne, 24 ans plus tard, lorsqu'elle a reconnu la photo de "Daniel" (José Antonio dos Santos,"le caporal Anselmo"), alors amant de Soledad et père du fils qu'elle attendait, enceinte de 4 mois.

Beaucoup plus tard, on a appris que "Daniel" était en fait un agent double de la dictature brésilienne, infiltré dans les rangs de la Vanguardia Popular Revolucionaria (VPR), le mouvement de guérilla du légendaire capitaine Carlos Lamarca, dont la Paraguayenne Soledad faisait partie.

Une longue marche contre l'injustice

Soledad Barrett Viedma est né le 6 janvier 1945 au Paraguay. Son père était Alejandro Rafael Barrett López, le seul fils du grand écrivain espagnol et anarchiste Rafael Barrett, arrivé dans le pays en 1904 et marqué par le feu les luttes sociales de toute une époque, auteur d'importants écrits de dénonciation journalistique comme "Lo que son los yerbales", dans lequel il révéla l'esclavage dans lequel les travailleurs dits "mensú" étaient soumis.

"Le nom de Soledad reflétait l'absence de notre père, persécuté pour ses idées politiques ainsi que notre grand-père", a déclaré sa sœur Nanny Barrett.

Lorsque Soledad n'avait que trois mois, sa famille a dû fuir en Argentine, où ils ont passé cinq ans en exil.

"Nous sommes retournés au Paraguay. Soledad, avec sa façon d'être si douce, réveilla l'adoration. Elle avait une façon de parler lentement. C'était une belle créature aux cheveux dorés et à la peau blanche", décrit Nanny.

Incapable de fuir les gènes révolutionnaires de son grand-père et de son père, Soledad a commencé dès l'adolescence à militer dans le groupe des "gorriones", lié au Front juvénile-étudiant d'Asunción et à la FULNA, note Victor Duré, dans un essai sur la rébellion des années 50 et 60.

La répression dictatoriale a de nouveau forcé la famille à émigrer, cette fois en Uruguay. "A Montevideo, propriétaire d'une grâce particulière pour la danse folklorique et le chant, elle est devenue un symbole de la jeunesse paraguayenne. Il n' y a eu aucun acte de solidarité dans lequel elle n'a pas été invitée à agir", se souvient Nanny.

Le premier enlèvement, en Uruguay

Le 1er juillet 1962, alors qu'elle avait 17 ans, Soledad a été enlevée par des membres d'un commando nazi uruguayen.

Ils voulaient la forcer à crier des slogans:"Vive Hitler! A bas Fidel!", mais elle a refusé. Avec un canif, il a été dessiné une croix gammée (signe du nazisme) sur ses cuisses et ils l'ont laissé étendue derrière le zoo de Villa Dolores.

La jeune Paraguayenne était déjà active dans les groupes révolutionnaires et décida de se rendre à Cuba, où elle reçut une formation de guérillera. Là, elle a rencontré l'amour de sa vie, le Brésilien José María Ferreira de Araujo, avec qui elle s'est mariée et a eu sa fille Naim.

Une fin tragique

Ce furent des années de dictature et de terreur. Aussi la lutte révolutionnaire... et l'amour. Soledad Barrett avait 25 ans lorsqu'elle a perdu son mari, le Brésilien José María Ferreira de Araujo.

De Cuba, José María est retourné au Brésil en juillet 1970 pour aider à consolider la lutte armée. En septembre 1970, il a été capturé et tué par les militaires. Sans le savoir, Soledad part à sa recherche avec sa petite fille Naim, en 1971.

En arrivant et en apprenant la mort de son mari, la Paraguayenne a décidé de se joindre activement aux guérillas brésiliennes dans leur lutte pour renverser la dictature.

Le VPR l' a envoyée à Recife, avec d'autres combattants. Elle y rencontra Anselmo, un ancien militant ami de son mari, qu'elle avait rencontré à Cuba.

Le "caporal Anselmo" était un soldat qui mena la "révolte des marins" en 1964 contre le gouvernement de João Goulart et qui était devenu un héros pour la guérilla. Mais la dictature l'avait capturé comme un espion double et il avait pour mission de trahir ses camarades.

"Pour ne pas éveiller la méfiance, Anselmo avait besoin d'approcher quelqu'un de respectable et avec une histoire de militantisme impeccable. La victime avait déjà été choisie: Soledad Barrett Viedma, explique la journaliste brésilienne Vanessa Gonçalves.

"Le caporal s'approcha de la militante et commença à vivre comme son compagnon. Soledad est tombée enceinte de lui, sans se méfier qu'elle n'était qu'un objet pour entretenir la façade d'Antonio", ajoute-t-elle.

Le 8 janvier 1973 fut la "livraison".

Avec Soledad, Pauline Reichstul, Eudaldo Gómez da Silva, Jarbas Pereira Márquez, José Manoel da Silva et Evaldo Luiz Ferreira ont été enlevés.

Les corps ont été retrouvés dans une ferme à São Bento, municipalité d'Abre e Lima, près de Recife. L'avocate Mercia Albuquerque a inspecté les corps dans la morgue et raconte,"Soledad Barret Viedma était dans un baril. Elle était nue et il y avait beaucoup de sang sur ses cuisses, sur ses jambes et au fond du baril, où il y avait aussi un foetus."

Toutefois, son corps n' a jamais été retrouvé et, dans la pratique, Soledad est toujours considérée comme une personne disparue.

Quelques jours après son 28e anniversaire, la petite-fille révolutionnaire du grand Rafael Barret met fin à sa vie de façon violente, trahie par son amant et père du fils qu'elle portait dans son sein.

Revendiquée au Brésil, peu connue au Paraguay

Dans le quartier Jardim Adelfiore de São Paulo, au Brésil, au 315 de la rue Tarcon, il y a une école municipale appelée Soledad Barrett Viedma, où les élèves se souviennent d'elle comme "une combattante paraguayenne héroïque qui a donné sa vie pour la liberté".

Aussi à Santa Cruz, Rio de Janeiro, une rue porte le nom du groupe de la guérillera venu rejoindre les rangs de la Vanguardia Popular Revolucionaria (VPR), la légendaire guérilla du capitaine Carlos Lamarca.

Au Paraguay, le nom de Soledad Barrett est encore méconnu par la grande majorité des habitants, bien que son grand-père, Rafael Barrett, soit mieux connu.

Ceux qui connaissent un peu l'histoire de Soledad l'ont connue à travers un poème écrit par le grand poète uruguayen Mario Benedetti ou l'auteur-compositeur-interprète Daniel Viglietti, qui a rencontré la Paraguayenne à Montevideo et lui a rendu un hommage artistique.

Demande d'excuses de l'État brésilien

Le 11 décembre 2015, Soledad Barrett Viedma a été officiellement déclarée amnistiée politique, post-mortem, par la Commission d'amnistie du ministère brésilien de la Justice.

"Ce crime contre Soledad Barrett Viedma est le cas le plus éloquent de la guerre sale de la dictature au Brésil", a écrit le journaliste brésilien Urianiano Mota, auteur du livre Soledad en Recife, publié en 2009.

"Son corps est toujours porté disparu et son certificat de décès n' a été délivré qu'aujourd'hui. Déclarée officiellement morte et disparue sous la responsabilité de l'État brésilien, Soledad est désormais aussi une amnistiée brésilienne pour toutes les persécutions qu'elle a subies de son vivant", a déclaré le président de la Commission d'amnistie, Paulo Abrão.

"Sa fille, Ñasaindy Barret de Araújo, reçoit officiellement la demande d'excuses de l'État brésilien", a expliqué le chef de la commission.

Traduction carolita d'un article paru dans Kaosenlared le 10 janvier 2017 : 

 

C'est ainsi que l'artiste uruguayen Daniel Viglietti la chante:

Soledad Barrett

Le doute porte ma main jusqu'à la guitare,
ma vie entière ne suffit pas pour croire
que peut se fermer la limpidité de ton regard;
il n'existe pas un orage ni un nuage du sang qui peuvent gommer
ton signe clair

La solitude de ma main se heurte contre les autres
cherchant à laisser la sienne pour les autres,
que la main blessée lâche ses armements
il faut séduire avec la mienne ou toutes celles qui vont les lever,
qui vont les lever.

Une chose que j'ai apprise à côté de Soledad :
que les pleurs il faut les empoigner, les laisser chanter.

Janvier chaud, Recife, silence aveugle,
les cordes ont même oublié le guarani,
celui que tu prononçais toujours dans tes chemins
de fille errante, en semant la justice où elle n'existe pas,
où elle n'existe pas.

Une autre chose que j'ai apprise avec Soledad :
que la patrie n'est pas un seul lieu.

Quel grand-père libertaire du Paraguay
en grandissant a cherché son sentier, et en Uruguay
n'oublie pas la douce marque de son pas
quand elle cherche le nord, le Brésil du nord, pour combattre,
pour combattre.

Une troisième chose qu'elle nous a appris :
ce qui n'en aura pas un en aura deux.

Dans un endroit du vent ou de la vérité
la Soledad est là avec son rêve entier.
Elle ne veut pas de longs discours ni d'anniversaires;
son jour est le jour dans lequel tous disent,
armes à la main : ”patrie, rojaijú*”.


*rojaijú: je t'aime en guarani

Daniel Viglietti traduction carolita

http://www.cancioneros.com/nc/5997/0/soledad-barret-daniel-viglietti

La version française du poème de Mario Benedetti dédié à Soledad : 

Mort de Soledad Barrett

Tu as vécu ici pendant des mois ou des années
Tu as tracé ici une ligne droite de mélancolie
Qui a traversé les vies et les rues

Il y a dix ans, ton adolescence était nouvelle.
ils t'ont coupé les cuisses parce que tu ne voulais pas
crier vive Hitler ni à bas Fidel

C'était autrefois et d'autres escadrons
mais ces tatouages ont rempli d'émerveillement.
un certain Uruguayen qui vivait sur la lune

et bien sûr, tu ne pouvais pas savoir
que d'une certaine façon tu étais
la préhistoire ibérique

Maintenant ils ont criblé de balles à Recife
tes vingt-sept années
d'amour serein et de peine clandestine

Peut-être on ne saura jamais comment ni pourquoi

Les câbles disent que tu as résisté.
et il n' y aura pas d'autre choix que de le croire.
parce que la vérité est que tu résistais
en les mettant juste devant toi
les regardant seulement
souriant seulement
chantant seulement des cielitos au ciel

Avec ton image sûre
avec ton atout de fille
tu aurais pu être modèle
actrice
miss Paraguay
couverture
almanach
qui sait combien de choses!

Mais le grand-père Rafaël le vieil anarchiste
tirais ton sang fortement
et tu sentais en silence ces coups

Soledad tu ne vivais pas dans la solitude
C'est pour ça que ta vie ne disparaît pas.
Elle est simplement comblée de signaux.

Soledad tu n'est pas morte dans la solitude
C'est pourquoi ta mort n'est pas un deuil.
on l'a simplement hissée dans les airs

A partir de maintenant, la nostalgie sera
un vent fidèle qui fera flotter ta mort
pour que paraissent exemplaires et claires
les franges de ta vie

Je ne sais pas si tu étais
en minijupe ou peut-être en jeans
quand la salve de pernambuco
a complètement mis fin à tes rêves

Au moins, ça n'aura pas été facile.
de fermer tes grands yeux clairs
tes yeux où la meilleure violence
se permettait de raisonnables trêves
pour devenir d'une incroyable bonté
et même s'ils ont finalement été fermés,
tu suis encore probablement du regard
Soledad, compatriote de trois ou quatre peuples
le futur propre pour lequel tu as vécu
et pour lequel tu n'as jamais refusé de mourir.

Mario Benedetti traduction carolita

http://anonimaveneciana.blogspot.fr/2016/03/muerte-de-soledad-barrett-de-mario.html

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