Pablo Neruda : une nouvelle de premier plan à La Havane, 75 ans après

Publié le 9 Août 2017

Ceux qui lisent aujourd'hui le poète chilien Pablo Neruda, l'admirent et le citent comme l'un des auteurs les plus instruits de langue espagnole, ils n'ont peut-être pas conscience de ce qu'a représenté sa visite à La Havane en mars 1942, il y a maintenant 75 ans.

Il ne s'était pas écoulés six jours après la mort à New York du génie cubain des échecs José Raúl Capablanca et le panorama national était encore consterné par son décès, quand Neruda débarque du vapeur Río de La Plata le samedi 14 mars 1942, à côté de son épouse Delia del Carril. Le barde arrive du Mexique, où il occupe des fonctions de consul de son pays, et apporte avec lui quelques conférences, sept au total qu'il dictera dans le siège de l'Académie Nationale d'Arts et de Lettres à La Vieille Havane.

Sur le quai l'attendent les reporters et les amis cubains avec qui il s'était mis d'accord en Espagne. La figure est incomparable : celle d'un grand homme massif, d'une taille élevée et avec des tempes dégarnies , qui peut passer pour un ex lutteur déjà retiré ou un homme d'affaires bien nourri et prospère. Cependant, l'artiste de 38 ans est probablement le poète hispano-américain le plus instruit et populaire.

Pour la revue Lux, il déclare :

Je suis venu à Cuba invité par le Secrétariat d'Éducation. Cela fait déjà de nombreuses années que je voulais la visiter. J'ai eu la chance de participer avec Marinello et Guillén au Congrès d'Écrivains Antifascistes, célébré à Madrid pendant la Guerre civile Espagnole, et bien que La Havane soit sur la route du Chili à l' Europe, jusqu'à présent je n'ai pas pu réaliser le désir ardent d'alors.

Le poète se sent flatté par l'accueil que lui offrent la presse, les intellectuels et l'assistance qui assistent à ses lectures. Depuis son arrivée à La Havane, tout ce qu'il fait se transforme en matière journalistique et photographique, de la presse quotidienne et des hebdomadaires. On ne peut pas demander plus pour qui n'est ni artiste de cinéma, ni athlète célèbre, ni un chanteur à la mode!

Neruda profite de ses semaines dans l'Île. Il est un homme qui chemine par les rues, s'attarde pour regarder, pour dialoguer. Sa position antifasciste est connue, et bien que la Deuxième Guerre mondiale soit encore — à cette période de 1942 — avec les troupes de l'axe Berlin-Rome-Tokio à l'offensive en Europe et dans le Pacifique, l'artiste est sûr de ne pas se tromper quand il affirme : “Je crois profondément, fermement, dans le triomphe de la démocratie, de la justice sociale, et je crois que cette transformation se fera sentir plus profondément dans le domaine de la littérature”.

Pendant l'une de ses conférences, Neruda a évoqué ce passage presque oublié mais émouvant, sur la chute d'un combattant cubain à la Guerre civile Espagnole :

Et maintenant je vous parlerai d'un Cubain qui gît dans le cimetière de Brunete. Aux portes de la Castille, dans le cimetière poussiéreux de Brunete.

Là gît pour toujours un homme qui est ressorti entre tous comme une fleur sanglante, comme une fleur aux violents pétales brûlants.

C'est Alberto Sánchez, cubain, taciturne, robuste et petit de taille, capitaine de 20 ans.

A Cuba on lui donne l'occasion d'augmenter sa collection d'escargots et de coquillages. Juan Marinello lui présente le savant naturaliste don Carlos de la Torre et le doyen des malacologistes cubains lui tend sa main affectueuse. Le poète n'a jamais oublié le geste de l'homme de science. Des années après, Nicolás Guillén comptait cette anecdote :

Nous venons de donner les escargots, dont la collection est le hobby innocent de Neruda. N'a-t-il pas été son ami, son grand ami ici à La Havane, don Carlos de la Torre de qui il a reçu une boîte d'escargots très compliqués dont le nom en latin je ne puis pas le prononcer ? Selon Marianao il a été souvent vu, à Guanabo et à Varedero, marchant à  pas lents, tandis qu'il scrutait le sable millionnaire d'espèces tropicales, magnifique aventure pour son ardeur investigatrice. Au Chili il me les apprendrait en souriant :

— Vois-tu cette coquille rose avec des petits points gris ?

— Oui.

— Ne la connais-tu pas ?

— Non.

— Pero mijo!, oui,je l'ai trouvée à côté de toi, une après-midi, là-bas à La Havane, à quelques jours de mon arrivée.

Au bout de presque un mois, le 6 avril, après une veillée d'adieux interminables, Pablo et Delia étaient à nouveau avec les valises sur le quai. Neruda reviendrait des années plus tard, lors d'une visite dont on se souvient et dont nous parlerons à une autre occasion.

Certes, le Prix Nobel de Littérature de 1971 est l'un des auteurs qui peut se payer le luxe d'être reédité et de s'épuiser de nouveau.

traduction carolita d'un article paru dans La Jiribilla, revista de cultura cubana : 

Histoire ancienne

A présent, j’ouvre les yeux et me souviens :
Brille et s’éteint, électrique et obscure,
avec des joies et des peines,
l’histoire amère et magique de Cuba.
Passèrent les années comme des poissons
dans l’azur de la mer et sa douceur,
l’île vécut la liberté et la danse,
les palmiers dansèrent avec l’écume,
Blancs et Noirs furent un seul pain,
parce que Martí sur pétrir son levain,
la paix accomplissait son destin d’or
et dans le sucre crépitait le soleil,
tandis que mûri par le soleil tombait
le rayon de miel sur les fruits :
L’homme se complaisait avec son règne
et la famille avec son agriculture,
quand arriva du Nord une semence
menaçante, avide, injuste
qui, telle une araignée propagea ses fils
et étendit sa structure métallique
qui enfonça des clous sanglants dans la terre
et sur les morts dressa une coupole.
C’était le dollar aux dents jaunes,
commandant de sang, de sépulture.

Pablo Neruda (Chanson de geste)

Rédigé par caroleone

Publié dans #Fragments de Neruda

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