Œillet noir *

Publié le 14 Novembre 2016

Je me souviens d’un œillet noir
De deuil
Au calice ouvert
Que l’on appelait crevard.
C’était avant que les yankees
N’envahissent une fois encore
Le marché de leurs œillets simples et complices
Des grandes surfaces
Des étals faciles.

Je me souviens d’un œillet noir
Mystérieux
Sombre et soudain
Une fleur
Que l’on n’oublie pas
Je me sens seule dans ma remembrance.

C’était au temps où les fleurs nous unissaient
Où le travail même de nuit
Nous mettaient le sourire aux lèvres
Autour d’un café noir
Marie-Rose et moi préparions les fleurs
Baguées et munies de pointes
Mon oncle ensuite les assemblaient
De très jolie façon.
Les morts étaient un peu un gagne-pain
Chaque fleur chaque feuillage chaque brin de paille
Étaient recyclés
Rien ne se perdait
On vivait alors de cette mort qui semait des pleurs
On participait au chagrin à notre façon.

Je me souviens de ces couronnes
De ces raquettes de ces coussins
Couleurs, formes et savoir-faire
Rien à voir avec le bling-bling actuel
Cotillons et contrefaçons
Toi œillet crevard
Noir et lumineux
Quand on te manipulait
Trésor précieux
Tu étais notre caviar de fleuristes
Peu de fois je t’ai tenu entre mes mains
J’ai encore ta saveur sur la mémoire de mes doigts
Un léger parfum d’œillet
Et un calice
Gros
Éventré
D’où sortait cette multitude de pétales de soie chiffonnés :
Le grand luxe alors pensai-je
Oui, ce luxe naturel
Que l’on ne palpe qu’une seule fois dans sa vie.

Carole Radureau (11/11/2016)

Par Rob Lavinsky, iRocks.com – CC-BY-SA-3.0, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10419830

Perle de pyrargyrite

Une espèce minérale composée de sulfosel d'argent et pouvant contenir de l'arsenic.

Perle de quartz

Déjà présentée dans le poème  Peigne confus

Rédigé par caroleone

Publié dans #Mes anar-poèmes, #La pierre

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A
Comme ce poème est beau Caro! Les plus réussis à mes yeux, sont ceux qui évoquent ta grand-mère ou ton grand-père, et delà ton enfance. On y sens la force du vécu et tu trouves de si jolies formules: J’ai encore ta saveur sur la mémoire de mes doigts<br /> Un léger parfum d’œillet ou bien encore: Oui, ce luxe naturel<br /> Que l’on ne palpe qu’une seule fois dans sa vie.<br /> Très beau et tellement vrai, bravo!
C
Je ne ressens pas souvent le besoin de m'exprimer sur cette enfance dont il ne me reste que certains clichés mais cette pierre noire m'a de suite inspirée mon éternel œillet noir crevard (qui n'était pas noir évidemment mais plutôt pourpre foncé comme les roses) et dont la variété niçoise n'existe plus à présent. J'ai vraiment été imprégnée dans ma façon de voir et vivre mon métier par mes grands-parents et mon oncle qui étaient des écolos sans le savoir. Pas étonnant que je n'ai jamais pu entrer dans le moule, pour moi, ce métier, c'est le travail en famille, en commun, c'est le système D, la vraie débrouille du pauvre, c'est aussi l'art qui s'exprime sans se soucier de l'économie.