Mexique : des Indiens Otomis exercent leur autonomie et choisissent leur propre représentant communautaire
Publié le 25 Janvier 2016
Huitzizilapan, dont l'ancien nom N´dete signifie “grand village”, compte actuellement douze communautés indiennes otomí-ñätho réparties entre deux grandes villes : Mexico et Toluca. Il y a un an, ses habitants ont entamé un mouvement de défense de leurs forêts qui les a ensuite amenés à s'organiser et à choisir leurs représentants,libres de tout intérêt politique, le 7 décembre 2015.
Ce jour-là, les Indiens ont attendu durant des heures le procureur des AffairesAgraires, qui valide les assemblées délibérantes réalisées sur les terres appartenant collectivement à la communauté ; mais celui-ci ne s'est pas présenté, prétextant un accident. Quant aux membres de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) convoqués par les paysans comuneros (qui exploitent les terres de la communauté) pour documenter l'assemblée, ils sont partis inopinément.
Cela n'a pas empêché les Indiens d'exercer leur droit selon la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), la Constitution Mexicaine et la Loi Agraire. En effet, l'assemblée, après un vote à main levée, a élu à l'unanimité “La Planilla del Pueblo”, la liste présentée par le village.
Cependant, les Ñätho affirment qu'une nouvelle assemblée convoquée sans raison légale par le Procureur Agraire se tiendra le 18 janvier 2016 et ils craignent que cette fois la municipalité et le parti d'état Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI)imposent une autre autorité parallèlement à celle qu'ils ont déjà élue. Ils ont donc décidé d'y participer pour entériner leur vote.
“Nous nous préparons et nous comptons sur tous les paysans comuneros pour gagner de nouveau”, dit Abundio Rivera.
Dans un communiqué daté du 12 janvier, les paysans ont dénoncé les pratiques des anciennes autorités du village proches du PRI qui distribuent deux mille pesos mexicains par personne pour les convaincre de ne pas soutenir la liste élue.
“Nous travaillons à la sensibilisation”, souligne Rivera.
Depuis 2003, le Gouvernement Fédéral a effectué des recensements de paysans comuneros dans les noyaux agraires et communautaires du pays. À Huitzizilapan, il y a 904 paysans comuneros qui prennent les décisions se rapportant au territoire. Dès lors, divers projets ont été imposés par les autorités communautaires sans consulter la population.
L'intention, en créant une liste à partir d'assemblées ouvertes et du mouvement apparu en 2014 dans le village, est de protéger l'environnement et l'intégrité territoriale de Huitzizilapan. Après son élection le 7 décembre, les premiers mots du nouveau représentant furent les suivants :
Nous connaissons tous la grande problématique du noyau communautaire, nous allons devoir défendre notre territoire, notre eau et notre forêt et nous occuper d'autres problèmes. Nous devons inclure tous les citoyens de San Lorenzo, qu'ils vivent ici ou ailleurs. Élargissons les listes pour qu'ils puissent s'inscrire.”
Un autre paysan va plus loin :
Je vais lutter pour qu'on ouvre les portes, pour l'autonomie du village. On doit non seulement ouvrir l'accès aux listes, mais aussi les portes du village et récupérer l'autonomie que nous avions il y a quinze ans, parce que les jeunes et les enfants ont leur mot à dire au sujet des terres et de la forêt. Et que le Procureur Agraire ne vienne plus décider à notre place”.
Le décret présidentiel
Comme ses voisines Xochicuautla et Ayotuxco, Huitzizilapan est confrontée à la construction de l'autoroute Toluca-Naucalpan, donnée en concession à une entreprise appartenant à Juan Armando Hinojosa, un des entrepreneurs les plus favorisés pendant l'administration d'Enrique Peña Nieto.
L'ancien représentant du village et militant du PRI Luis Enrique Dorantes a approuvé une soi-disant “valorisation forestière” sans en informer la population.
Quelques mois plus tard, au matin du 5 juillet, des jeunes gens de “Huitzi” se sont présentés dans les bureaux de la communauté et ont allumé des feux de camp pour surveiller une assemblée pendant laquelle Dorantes avait l'intention de céder des parties du territoire du village à la municipalité de Lerma grâce à une procédure appelée “désincorporation”.
Ce matin-là, les cloches de l'église située à côté des bureaux de la communauté, ont sonné. Des centaines d'habitants ont répondu à l'appel pour chasser environ mille policiers de leur village.
Des femmes, des jeunes et des enfants de Huitzizilapan se sont déjà réunis avec des familles des 43 étudiants disparus de l'école normale d’Ayotzinapa, dans l'État de Guerrero, et avec des Indiens de tout le pays. Leur combat les a amenés à se pourvoir en cassation contre un décret d'expropriation de leurs terres émis en mai 2014 par Peña Nieto, à créer un journal communautaire et à peindre des murs avec les messages : “Nous sommes tous comuneros”, “Ici, c'est le peuple qui décide”
Une forêt prisée
Les forêts défendues par Xochicuautla et Huitzizilapan font partie du “Parc Otomí Mexica” qui s'étend sur 105 844 hectares. Elles ont été classées réserve écologique par le gouvernement de l'État de Mexico et jouissent du titre de “Parc Écologique, Touristique, Récréatif Zempoala La Buffa”.
Peña Nieto et le gouverneur Eruviel Ávila prétendent construire une autoroute sur 39 kilomètres de cette forêt qui serait alors pratiquement coupée en deux. Ávila a déclaré en décembre que le projet devrait être terminé en 2016.
“Pourquoi protégerons-nous la forêt ?”, a demandé le nouveau représentant du village lors de son élection le 7 décembre. Ce à quoi il a lui-même répondu : “Parce que c'est le poumon des vallées de Mexico et Toluca et qu'elle nous donne un peu d'eau, on doit la préserver pour les prochaines générations, il faut en prendre conscience”.
Traduit parCaroline Charrier
Ecrit parMas de 1