Fille d'ouvrier
Publié le 11 Novembre 2015
......Souvenirs d'enfance......
Fille d’ouvrier
Ouvrier était le mot pour qualifier
Un travailleur manuel
Un travailleur tout court.
A présent on ne sait plus que dire
Pour nommer celui qui vend sa force de travail.
Etre fille d’ouvrier
Ce n’était pas si facile.
Mais c’était moins dur que d’être ouvrière.
Un jour j’ai été moi aussi ouvrière
Pas longtemps non, juste le temps de voir…….
Je me souviens de ce temps-là quand j’étais enfant.
Les souvenirs doivent s’écrire
Car la mémoire parfois s’évanouit.
Mon père travaillait à l’usine.
C’est ainsi qu’on l’appelait.
Les enfants comme nous pensions qu’il n’y en avait qu’une.
L’usine, à l’usine, pour l’usine, par l’usine.
L’usine ne s’oubliait pas.
Elle faisait partie de la famille.
On l’entendait.
Sa sirène.
On les entendait.
Les bruits sourds des tubes qui tombaient
A 2 ou 3 kilomètres de la maison.
C’était dans ma tête de petite fille un lieu
Sombre, noir
Rempli de fer,
De barrières,
De trains.
Y entrer c’était comme se représenter une mine :
Chantier interdit au public.
Ce qui s’y passait semblait interdit aussi.
Un lieu de froide torpeur, de boucan, de fatigue
De mort.
Quand nous allions chercher les cadeaux de noël
Dont les enfants bénéficiaient et qui représentaient des cadeaux de choix
Pour des familles pauvres,
Nous avions un aperçu du lieu de travail
De notre père.
Je n’aimais pas cet endroit.
Je le fuyais.
Il me donnait une peur bleue.
Je ne le comprenais pas.
Quand nous partions en colonie
Car les colonies de vacances étaient aussi
Un « bienfait » de l’usine
Les cars démarraient de là-bas.
Des collègues de mon père nous accompagnaient.
Ils me parlaient parfois de lui
Et je découvrais un inconnu.
Il était très respecté, un ouvrier modèle.
Je me souviens des 3/8.
Toute sa vie d’ouvrier il a fait les 3/8.
Jusqu’à 60 ans, âge de la retraite alors.
Il a tenu le coup.
Certains collègues qui n’étaient plus « bons à rien »
Pour l’entreprise
Finissaient au « train ».
Je ne sais pas ce que c’était au juste ce train.
Ce que je sais, c’est qu’ils y mouraient très vite.
Ne voyaient pas leur retraite.
Mon père ne voulait pas finir au train.
Je m’en rappelle.
Aussi il a tenu le coup pour les 3/8
Il ramenait le seul salaire de la maison :
Tout juste la prime d’ancienneté lui faisait un peu plus
Que le SMIC.
Quand il était plus jeune
Il travaillait sans casque.
Le casque n’était pas obligatoire alors.
En vieillissant à force d’entendre tomber les tubes
Il est devenu sourd.
Mes parents un jour se sont battus avec la médecine du travail
Pour faire reconnaître sa surdité comme accident de travail.
Ca a marché au bout de plusieurs années.
Il a reçu une compensation.
Une misère, mais il fallait le faire.
Mon père partait faire les postes
Avec sa mobylette.
Le matin, l’après-midi, le soir.
On entendait le moteur de la mobylette
On savait qu’il fallait être sages
Ne pas faire de bruit
Quand il se reposerait.
Nous étions des enfants d’ouvrier qui fait les 3/8.
Aussi nous savions ne pas faire de bruit en journée.
Quand le père dormait.
Certains enfants ne comprenaient pas cela.
En mai 68, pendant les grèves
Mon grand-père il me semble travaillait à l’usine
Avec mon père.
Je ne suis pas sûre.
Mais je sais qu’ils ont fait grève là-bas
Il me semble même qu’ils ont séquestré le chef dans son bureau
Comme ailleurs les autres travailleurs l’ont fait à l’époque.
Pendant un mois, sans leur paie
Toute la famille a vécu grâce au poulailler et au jardin de mes grands-parents.
Je ne me souviens que des histoires racontées.
J’avais 4 ans alors.
Le soir quand il rentrait
Mon père ramenait plein de chutes de tissus
Certains venaient de ses collègues africains
Il y en avait de toutes les couleurs.
Ma mère nous cousait des habits avec les plus beaux.
Mon père travaillait avec des ouvriers de toutes les nationalités.
Il aimait bien parler avec eux.
Il me ramenait des timbres que je collectionnais un temps.
J’en ai eu de presque tous les pays d’Afrique.
Ses collègues souvent lui disait qu’il était un sénégalais.
Mon père avait la peau mate et des cheveux très noirs et crépus.
Ca le faisait sourire qu’on lui dise cela.
Je crois même qu’il était fier.
Par contre,
Il n’aimait pas les blancs-becs, les futurs chefaillons
Qui sortaient tout droit de leurs études diplôme en poche
Et venaient faire la leçon aux « vieux ».
Sans les vieux, la boîte ne tournait pas bien rond.
Il disait : leur diplôme ne leur pas appris le travail
A suer sous son casque et à manier les outils.
L’expérience face à la compétence du papier.
C’était vrai, l’usine quand elle s’est remplie de diplômés
A moins bien tourné.
Imaginer que ces blancs-becs commandaient des ouvriers
Au savoir incommensurable
Mais qui ne pouvaient pas gravir les échelons faute de diplômes
C’était une aberration à mes yeux.
La qualité se forge sur le terrain
Et les compétences devraient être récompensées par le travail fournit.
Uniquement.
Parfois, quand il rentrait, il racontait :
Les terribles accidents qu’il voyait par moment :
Jambes broyées, parfois le bas du corps,
Les brûlures, les coupures, tout ce qui peut arriver quand on manie
Du métal,
Les tubes qui entrent dans les chairs.
Je n’ai jamais vraiment compris ce qu’étaient des tubes filetés.
Je crois que les tubes servaient pour les forages du pétrole.
Il me l’a dit et redit, ce n’était pas concret pour moi.
Je comprenais mieux les choses de la nature.
Lui aussi à eu des blessures, parfois graves mais c’était un homme robuste.
Quand il fut à la retraite
Il se reposa.
Il l’avait bien mérité.
Plus que certains me suis-je toujours dit.
Mais la maladie était là en lui
Inconnue encore et élaborant son parcours pervers
Elle creusait son tunnel dans les poumons et les os
Cela peut prendre plusieurs années à ronger des organes
Solides et durs comme le fer que l’homme a travaillé.
Lui qui avait commencé à bosser à 14 ans
Des cochonneries dans les usines et la mine
Il en avait respiré en plus du tabac à deux balles.
Il n’a jamais eu d’argent
A toujours tiré le diable par la queue :
Il est mort à 67 ans d’un cancer.
Sans en profiter.
J’ai su longtemps après sa mort
Qu’il était un enfant battu.
Que son nez cassé ne l’avait pas été
En jouant avec son père.
C’est ce qu’il disait, je ne sais pas pourquoi
Il avait dû vouloir l’oublier.
Homme rude et bourru
Renfermé et ne sachant pas démontrer
Ce qu’on ne lui avait pas donné,
Il est mort sans que l’on se comprenne
Sans que l’on se confie nos rancœurs, nos peines.
Il était sérieux et travailleur
Il a veillé sur sa famille
Même si nous n’étions pas aisés
Nous avions de quoi manger
Il a pu faire construire une maison
Jardiner son lopin de terre
C’était à l’époque le commun de chacun
Personne ne se plaignait
Personne n’en voulait vraiment plus.
Les années passent avec leur voile qui ternit
Irrémédiablement les petites lueurs d’enfance.
Etre fille d’ouvrier
Ce n’était pas facile.
Mais, être ouvrier l’était encore moins.
Et pour l’homme qui vit dans la noire solitude de l’usine
La vie est si dure qu’il faut des compensations.
La vie est si dure qu’elle envahit tout.
L’ouvrier ne voit plus la beauté autour de lui.
Il ne voit plus l’enfance qui s’épanouit
La tendresse qui pointe comme le bouton d’une fleur
La main qui aimerait qu’on la serre
Le regard qui implore la clémence.
La vie est si dure, les vexations si grandes
Que le travailleur retient sa colère
Et la rentre dans sa maison.
C’est ainsi que vivent les familles d’ouvriers.
S’il faut en vouloir à quelqu’un c’est au capital
Mais lui se cache bien, on ne sait pas qui il est
On voudrait revendiquer, lui dire tout le mal
Qu’il a fait, qu’il fait encore
Détruisant une génération, puis l’autre et l’autre par rebond.
Mais le capital s’en sort toujours sans mal.
Pas l’ouvrier qui laisse au boulot
Sa chemise
Sa santé
Son intégrité
Sa voix
Son audition
Son moral
Sa morale
Sa santé
Et sa vie.
Qui fera payer le capital
Pour toutes ses vies brisées
Pour ses familles déchiquetées par la misère
L’indifférence et l’ennui, l’alcool, les cris et les violences incontrôlées ?
Qui fera payer l’usine
Pour les heures perdues, les semaines, les mois, les ans
Qui défilent sur le rouet de l’exploitation ?
Qu’est une maigre paye quand on donne sa vie ?
Qu’est un salaire de misère pour combler la santé ?
La force de travail n’est jamais assez payée
Donner sa peau, de l’or en fusion et encore
C’est trop peu cher pour recoudre les vies décousues
Les familles déchirées
Les vieux travailleurs qui ne sont pas reconnus
Et qui meurent épuisés
Après une vie-éclair
Une vie sacrifiée.
Carole Radureau (10/11/2015)
L’usine : SIDELOR, qui s’est appelée ensuite VALLOUREC à Déville-lès-Rouen (76)
Ecrit à l'encre d'un cocon - coco Magnanville
Mes poèmes devoirs de mémoire, à ceux que j'aime, mes souvenirs d'enfance puis deux ou trois petites choses encore. Mes poèmes au coeur. Vieillir ensemble Le p'tit jardinier * ICI Petite Marie-...
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