Colombie : Le peuple Nasa ou Paez

Publié le 21 Octobre 2015

Colombie : Le peuple Nasa ou Paez

survival © Francisco Pedro

Peuple autochtone de Colombie dans le département du Cauca, zone andine du sud-ouest de la Colombie.

Municipalités de Toribío, Páez, Caldonoibío, quelques communautés dans les départements de la vallée du Cauca , de Tolima, de Putumayo, de Huila, de Caquetá et de Meta.

Population : 186.178 personnes (2005)

Paez est une version castillane de pats qui veut dire » à la droite » (du fleuve Cauca).

Langue : nasa yuwe

Colombie : Le peuple Nasa ou Paez

Monumento a la Cacica Gaitana» por Jkhidalgo - Trabajo propio. Disponible bajo la licencia GFDL vía Wikimedia Commons.

 

Chronologie de la lutte pour la terre

Avec l’arrivée des espagnols, ils se réfugient dans les montagnes voisines pour résister à la conquête.

  • Le cacique Gaitana est le premier à résister par les armes et affronte les conquistadors.
  • Début XVIIIe siècle : un des leaders signe un traité avec la couronne espagnole en reconnaissance de leur territoire indigène défendu jusqu’ici pour en faire une forme de réserve indigène. En échange à ce droit à l’autonomie, les Nasa acceptent les lois coloniales et l’envoi de missionnaires catholiques. Ils gardent leurs mines de cuivre et l’art d’orfèvrerie qui en découle. La disparition de la culture Nasa commence alors : érosion des fondements économiques, perte d’autonomie, réduction du territoire.
  • 1890 : loi 89 promulguée à Bogota réintégrant les indigènes dans la propriété des resguardos et instauration des cabildos.
  • Avec Bolivar et les premiers décrets de la Grande Colombie, une reconnaissance des réserves indigènes favorise leur restitution. Mais le programme ne sera jamais exécuté par les grands cultivateurs du Cauca qui continueront de harceler les Nasa pour obtenir plus de territoire.

Quintin detenido ». Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.

 

- Début du XXe siècle : insurrection pour la récupération des terres avec le leader Quintin Lame. Il sera persécuté et exilé dans le département de Tolima où il continuera de lutter. Le mouvement continue avec son successeur José Gonzalo Sanchez de Totor, président de la confédération paysanne indigène et qui sera assassiné en 1952. A nouveau les Nasa sont victimes de grandes violences et perdent encore des terres, leur organisation est détruite. - Années 1910 Le système du terraje : ce système contraint les indigènes à payer sous forme de travail le terrain qu’ils occupent et défend le droit ancestral dans indigènes à la terre. Le système sera combattu par Manuel Quintin Lame. Il sera capturé avant d’avoir pu faire aboutir le soulèvement préparé. Manuel Quintin Lame Dans les années 40, ce paysan se consacre à l’étude du droit pour venir en aide aux indigènes et faire valoir leurs droits sur leurs terres. Ses projets ne seront pas couronnés de succès de son vivant mais sa pensée politique par contre survivra et ses idées seront consacrées dans la constitution de 1991.

 

  • Années 1970 : ce sont des années de lutte pour la récupération des terres spoliées par les grands propriétaires terrien
  • 71 : avec d’autres peuples du Cauca ils fondent le conseil régional indigène du Cauca . Objectifs : récupération du territoire, défense de leur culture, autonomie. La lutte du CRIC est marquée par la répression, les assassinats de leaders et les massacres. 544.000 hectares de terres seront reconnus comme territoire indigène dans le Cauca.

Principe d’organisation : « Unité, territoire, autonomie et culture ».

Le CRIC avec d’autres peuples indigènes de Colombie parviendra à faire inclure dans la constitution colombienne de 1991 les droits fondamentaux des peuples indigènes tels que l’autonomie, l’inaliénation des réserves indigènes. 4 mois plus tard c’est le massacre d’El Nilo, démontrant encore une fois la contradiction du gouvernement colombien qui s’engage d’un côté et fait le contraire sur le terrain.

La mission du CRIC

La défense, la promotion et l’application des droits fondamentaux des peuples indigènes de la région du Cauca et de toute la Colombie. L’action du conseil a lieu dans tout le département du Cauca sur 73 territoires indigènes de 7 zones : El centro, El norte, El oriente, El Tierradentre, El Nororiente , El Occidente et El Sur.

Les peuples qui font partie du Cric autres que les Nasa : les Guambianos, les Coconucos, les Yanakonas, les Totoroes et les Guanacos.

LIEN

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  • 1981 : Le père Alvaro Ulcué Chocué né dans le resguardo de Pueblo Nuevo crée le mouvement juvénile MJ, avec pour objectif d’offrir des espaces de formation, de réflexion et de lutte pour les jeunes. Faire prendre conscience à la jeunesse des alternatives culturelles (réappropriation de la langue, danse, dialogue, musique) afin de l’empêcher de se tourner vers la guerre ou le narcotrafic.
  • Novembre 1984 : assassinat du père Ulcué Chocué, cible privilégiée pour son militantisme. Deux tueurs à gage en moto l’assassinent. Son nom restera associé à la lutte des Nasa pour leur autonomie.
  • Constitution du 4 juillet 1991 : elle remplace celle de 1886. Elle est considérée comme progressiste et moderne. La Colombie est déclarée « Etat social de droit, organisée en république unitaire, décentralisée, démocratique, participative et pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine (art 1), Elle garantit la primauté des droits inaliénables de l’homme (art 5), la protection de la diversité ethnique et culturelle du pays (art 7).

image

Massacre d’El Nilo en 1991 :

A l’hacienda El Nilo à Caloto, 20 paysans sont froidement assassinés. En 1992, la CIDH reçoit une demande du collectif d avocats José Alvear Restrepo contre l’état colombien pour le massacre d’El Nilo. L’état admet sa responsabilité et en 1995 met en place un processus de règlement à l’amiable ratifié le 1er septembre 1995 entre le ministère de l’intérieur et le CRIC. Le gouvernement s’engage à remettre 15.600 hectares de terres. En 1999, le CRIC conclut que l’état n’a pas respecté toutes ses obligations. En 2005 devant l’attente toujours vaine de la restitution des terres, le peuple Nasa décide de faire évoluer sa lutte de récupération des terres vers un processus de libération de la terre-mère, un processus de lutte politique et spirituel. En 2005, la première finca récupérée est celle de l’Emperatriz, un symbole fort dans le processus contre la toute puissance des multinationales. Les terres sont de plus en plus étroites pour les familles qui s’agrandissent et les Nasa sont de plus en plus souvent obligés d’attaquer des forêts pour survivre.

 

- 1994 : Création de l'association des conseils autochtones du nord du Cauca : ACIN cxab wala-kiwe qui comprend 16 conseils autochtones et s'articule autour d'un plan de la Vie (tissu économique et environnemental, tissu culturel et promotion de l'identité, du bien-être en harmonie avec la terre mère, justice et exercice du droit, communication ...) LIEN

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​image bastamag

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  • 2004 : Minga . Marche historique reliant Santander de Quilichao à Cali sur une centaine de kilomètres. Plus de 45000 indigènes y participent pour protester contre la réforme constitutionnelle qui impose la réélection d’urribe et contre les accords de libre-échange.
  • 2008 : manifestation pour démontrer la détermination du peuple, un mort par coups de feu tué par des soldats.
  • Juillet 2012 : dans le Cerro El Berlin, un territoire sacré, le peuple en colère et les gardes indigènes expulsent une centaine de soldats de la base militaire. Plusieurs indigènes seront blessés.
  • En 2012 toujours, ils luttent pour défendre la terre-mère et expulsent les machines qui travaillent à la rivière Mondomo pour y extraire d’or.

Les gardes indigènes veillent sans relâche pour protéger les terres contre les intrusions des multinationales. La prolifération des champs de marijuana est également un problème qu’ils ont réglé en partie à Canoas en 2013 en brûlant plusieurs tonnes de marijuana.

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Comuneros1 » par Ximenita8710 — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

 

Les réserves ou resguardos

Sur le territoire divisé en resgurados, chacun possède une autorité et une administration propre, le cabildo qui élit un ou une gouverneur chaque année.

Il y a 7 resguardos : Buenos Aires, Caloto, Corinto, Jambaló, Miranda, Santander, Toribió.

La bâton de commandement fait dans un bois sacré et orné de rubans multicolores est le symbole de l’autorité.

Libérer la terre

En 2014 Pour la libération de la terre-mère

A l’époque en 1971, le CRIC faisait du processus principal celui de récupérer des terres qui avaient été volées mais pas encore en faveur de la libération. Par cette lutte le peuple Nasa avait réussi à récupérer 120.000 hectares de terres. En 2014 la lutte change de donne.

La libération des terres se fait sur deux zones emblématiques de terres qui ont été volées et dont les indigènes ont été expropriés : 7 haciendas sur Corinto et une sur Caloto (La Emperatriz). C’est une zone emblématique dans le sens qu’elle a vu se dérouler un massacre à Gualanday en 2001 au cours duquel 14 Nasa ont été massacrés. Le sang irrigue la terre à libérer.

En 2015 pour répondre à une offensive contre eux de la part de Ardilla Lülle le dirigeant de la multinationale de biocarburant, ils décident d’entrer dans les champs et de couper la canne à sucre. Le propriétaire ne s’attendait pas à cela et fait répondre par une terrible répression qui fera 20 blessés par balles et gaz lacrymogènes.

Libérer la terre, ce n’est pas récupérer des terres qui ne leur appartiennent pas, c’est les récupérer.

Libérer la terre, c’est lui permettre de respirer à nouveau, là où les monocultures de canne à sucre l’étouffent. Il s’agit de libérer les territoires, semer la vie pour que le peuple puisse vivre en équilibre et en harmonie.

IMAGES sur De l'autre côté du Charco

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La monoculture de canne à sucre de la vallée du Cauca

Les tensions agraires dans cette région sont représentatives de la tendance dans le pays. La monoculture (canne à sucre) est au cœur d’une véritable révolution verte avec son arsenal de produits chimiques et couvre 85 % de la zone plane de la vallée. Elle commence dans les années 70 et s’étend grâce à une politique soutenue par le gouvernement avec l’explosion de la demande en biocarburant (éthanol pour l’exportation). L’eau manque dans 15 des 42 municipalités de la région mais qu’à cela ne tienne, l’agro industrie pompe ce qu’elle veut. La sécurité alimentaire des populations est menacée au profit du carburant dit « vert ».

Le Cauca est l’un des champs de bataille de la Colombie car cette région est un couloir stratégique du sud-ouest où la route Panaméricaine favorise le commerce avec le reste de l’Amérique du sud. Pendant des années, cette zone montagneuse et oubliée a été dominée par la guérilla des Farc.

Dans le Cauca la monoculture intensive de canne à sucre est aux mains de Incauca une des plus puissantes multinationales de Colombie avec pour dirigeant local Carlos Ardila Lülle.

Pendant la période du gouvernement d’Uurribe on estime à 55.000 le nombre d’indigènes déplacés, 400.000 privés d’accès à des terres, 18 peuples en danger d’extinction.

Ressources

La principale ressource provient de l’agriculture, du maïs surtout.

Mais ils cultivent aussi des haricots, des pommes de terre, des lulos, des mures, du café, des bananes plantains, du manioc.

Ils font un peu d’élevage de bovins et de petits animaux.

L’artisanat se fait pour la famille et pour la communauté.

Une partie de la population s’occupe des services : transport, commerce, santé, administration publique.

Il existe des migrations saisonnières d’indigènes pour travailler comme journaliers dans les plantations de canne à sucre.

La minga, le travail communautaire

Le travail communautaire tient une place importante dans les communautés. Il se fait de deux manières : pi’ky nasa, une assemblée de personnes acceptent l’invitation d’une famille pour les aider à construire (la maison, pour les récoltes).

Le travail pour la communauté organisé par l’autorité locale.

IMAGES minga de café sur De l'autre côté du Charco

Cosmovision

Ils ont comme tous les peuples d’Abya Yala, un lien étroit et particulier avec la terre qui est la mère, celle qui offre la subsistance alimentaire, un refuge, la base de l’harmonie et de l’équilibre. Elle est l’essence même de la vie et une source de sécurité. Des offrandes lui sont faites dont le rituel du Sek Buy au solstice d’été, qui célèbre un nouveau cycle de vie. Ce rituel a repris de la vigueur depuis 2011.

IMAGES de l'autre côté du Charco

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La Betulia (11121567674) » par geya garcia — la Betulia. Sous licence CC BY 2.0 via Wikimedia Commons.

 

Le concept de maison ou yet est fondamental dans la cosmovision Nasa. La maison est un espace de vie, une protection et une construction collective.

Le mythe dit ceci : Quand les êtres n’étaient que vents et esprits, les ancêtres les ont convoqués pour qu’ils aient une maison et puissent alors prendre corps. Ils se battaient sans cesse les uns avec les autres, aussi, les ancêtres leur dirent qu’ils devaient s’unir et ils eurent chacun un corps. Ainsi se créa l’univers et de cette manière apparurent la maison de chacun : la maison des animaux, la maison du soleil, la maison des Nasa, le territoire Nasa, la communauté qui est la maison collective, la maison des familles et le corps qui est la maison de chacun.

Chaque maison a un cœur qui est le foyer, des yeux qui sont les fenêtres, une bouche qui est la porte, des côtes qui sont les murs et des pieds qui sont les colonnes.

Les héros liés à la défense du territoire de la maison Nasa :

Dxi’Pam , visage du tonnerre : il affronta les Pijaos (une ethnie colombienne) avec une fronde (i’suth) et affronta aussi les espagnols. Il se réfugia ensuite dans le lac, aussi, les autorités ont-elles l’habitude d’aller au lac pour parler et refroidir le bâton de commandement afin que les gens restent en bonne santé et ne meurent pas.

Sxî’hra’cu’le (Juan Chiracol) est le fils d’un tigre et d’une indigène. C’est lui qui donna l’ordre de ne pas vendre le territoire, ordre répété par Juan Tama lorsqu’il négocia avec les espagnols pour faire reconnaître les territoires autochtones en 1635.

Sources : wikipédia, blog de l'autre côté du Charco

Un grand merci au blog De l'autre côté du Charco qui a réalisé un superbe travail de documentation et de reportage (aussi bien sur l'histoire du peuple que documenté en magnifiques photos) pour son apport important sur la toile de données en français concernant ce peuple et sa lutte légitime pour la terre. Les images de toute beauté, fragments de vie pris sur le vif d'un peuple encore authentique qui se bat pour préserver son mode de vie, le retrouver aussi, sont autant de sollicitations à en savoir plus pour s'approprier leur lutte qui est à mettre sur le même plan que celle des zapatistes au Mexique et des Mapuches au Chili.

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Colombie, #Nasa Paez, #Peuples originaires

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