Colombie / Brésil : Les ethnies du rio Vaupès

Publié le 14 Février 2014

Les ethnies du rio Vaupès I
Les peuples et leurs savoirs-faire

Les 17 ethnies que je vais vous présenter vivent toutes au bord de la rivière Vaupès (Uaupès en portugais) et de ses affluents, les rivières Tiquié, Papuri, Querari et d’autres rivières mineures au Brésil mais aussi en Colombie, dans les bassins des rivières Vaupès et Apaporis des affluents de la rivière Pira-Parana.

Une famille de langue commune

Ces groupes parlent tous des langues de la famille tukanoane orientale (en dehors des tariana qui parlent une langue arawak).

Réseau d’échange

Ils participent à un réseau d’échanges comprenant les mariages, les rituels, le commerce et formant un complexe socio-culturel déterminé nommé le système social de la Uaupès/Pira-Parana.

Population totale : Brésil : 11.130 personnes (2001), Colombie : 18.705 personnes

carte ISA (clic pour agrandir)

Colombie / Brésil : Les ethnies du rio Vaupès

 

image dairo

Le rio Uaupès

Le rio Uaupès est une rivière importante du bassin de l’Amazonie et un des principaux affluents du Rio Negro. Il traverse la Colombie (départements du Guaviaro et du Vaupès), le Brésil (état d’Amazonas). Sa longueur est de 1375 km de sa naissance dans la cordillère orientale des Andes pour se jeter finalement dans le Rio Negro.

Les ethnies
1. Les ARAPASO

(arapasso, arapaçao)

Etat d’Amazonas –

Moyen Uaupès (Iaurareté) 412 personnes

2. Les BARA

(bara tukano, waipinõmakã)

– Etat d’Amazonas (21 p.) - Colombie (296 p.)

Région du cours supérieur de la rivière Tiquié, 8 clans. Spécialistes de la confection des paniers en turi, du colorant rouge le carajuru, fabrication de canots, des parures de plumes utilisées dans les grandes cérémonies.

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3. Les BARASANA

(panenoa)

Autodénomination : hanera .

Etat d’Amazonas (46 p.) Colombie (939 p.)

Rivières Tatu, Komeya, Colorado affluents de la Pira-Parana et sur la Pira-Parana . 36 subdivisions.

4. Les DESANA

( desano, dessano)

Autodénomination : ibiko-bãsã = gens de l'humanité .

Etat d’Amazonas (1544 p.) Colombie (2036 p.)

Affluents des rivières Tiquié, Cucura , Umari et Castanha, papuri. 8 subdivisions.

Une lecture pour ce peuple :

Maladie et mémoire des origines chez les desana du Uaupès , thèse de Dominique Buchillet ICI

Belles images des desana ICI

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5. Les KARAPANÃ

(muteanmasa ou ukopiñopõna)

En langue ne'engatu = le petit noctambule

Etat d’Amazonas (63 p.) Colombie (412 p.)

Ils se considèrent comme les médecins de la grande abeille du fleuve (riberoa paaraa ucomajã)

6. Les KOTIRIA

(wanana)

Etat d’Amazonas (735 p.) Colombie (1113 p.).

Milieu de la rivière Uaupès, 25 divisions. Spécialistes du colorant rouge carajuru réalisé avec des feuilles de vigne pour la fabrication des objets rituels, des peintures des bancs tukano, peintures corporelles. Fabrication de paniers.

7 . Les KUBEO

(cubeo, cobewa)

Autodénomination : kubéwa ou pamiwa.

Etat d’Amazonas (489 p.), Colombie (4238 p.), Venezuela (25 p.) 3 villages au Brésil.

Ils sont divisés par groupes de frères et sœurs et contrairement aux autres groupes ils pratiquent les mariages consanguins mais seulement entre personnes de même langue. Ils sont spécialisés dans la fabrication de masques. La tradition des masques trouve sa justification dans les temps mythiques lorsque la mort survint pour la première fois dans le monde kubeo. C’est le héros civilisateur Kuwai qui apprit aux hommes à faire les masques d’écorce et à les peindre de façon qu’ils puissent célébrer la cérémonie de deuil. Par leurs masques, les kubeo visent à représenter l’ensemble des créatures vivantes de leur monde. Les danses masquées sont mimétiques, chacune illustre un geste ou un mouvement distinctif de la créature représentés (Goldman 1979 :221-31)

Lien pour voir un masque funéraire ICI

Une lecture sur les kubeo : Mirages du masque de Henry Pernet

8. Les MAKUNA

(heba-masa)

Etat d’Amazonas (32 p.) Colombie (528 p.)

Territoire Canõ Komeya, affluent de la rivière Pira-Parana et Apaporis inférieure. Ils sont spécialistes dans la fabrication des sarbacanes et poison curare, pirogues et rames.

Au sujet des makuna, la chaîne arte a des documentaires au sujet d'un peintre blanc qui vit avec eux : Miguel Cardenas, peintre blanc devenu indien.

 

9. Les MIRITY-TAPUYA

 

(buia-tapuya)

Etat d’Amazonas (75 p.)

Rio Uaupès inférieur, rivière Papuri

10. Les PIRA-TAPUYA

(piratapuyo)

Etat d’Amazonas (1433 p.) Colombie (400 p.)

Ils étaient d'habiles pêcheurs maîtrisant plusieurs techniques de pêche.

11. Les SIRIANO 

Autodénomination : siria-masa –

Etat d’Amazonas (71 p.) Colombie (665 p.)

Affluents de la rivière Papuri supérieure, bassins des rios Uaupès et Rio Negro (Brésil), 27 clans

12. Les TARIANA

(langue arawak)

Autodénomination : taliaseri.

Certains d’entre eux ont adopté la langue tukano orientale.

Etat d’Amazonas (2067 p.) Colombie (205 p.)

Spécialistes dans les outils de pêche, pièges à poisson, matapi.

image banc tukano

13. Les TUKANO

(yé-pâ-masa, dasea)

Etat d’Amazonas (6241 p.) Colombie (6330 p.) Venezuela (11 p.)

C’est le groupe le plus important des langues tukano orientales. Ils sont localisés au bord des rivières Tiquié, Papuri et Uaupès, du Rio Negro. Ils sont regroupés en plus de 30 subdivisions dans un ensemble hiérarchisé de frères et de sœurs. Ils sont spécialisés dans la fabrication de bancs rituels en bois (sorva) peints de motifs géométriques.

14. Les TUYUCA

Autodénomination : dokapuara

Etat d’Amazonas (825 p.) Colombie (570 p.)

Localisés dans la partie inférieure des rivières Tiquié, Papuri. Ils sont spécialistes dans la fabrication de canots et dans le temps étaient les maîtres de la fabrication de hamacs tissés en fibres de buriti. Ils fabriquent des paniers tissés avec des bandes très fines de aruma utilisés pour filtrer les jus de fruits.

15. Les TATUYO

( pamoa-masa)

Autodénomination : umarekopinõ .

Colombie (350 locuteurs)

Cours inférieur de la rivière Pira-Parana. 85 subdivisions. Au Brésil seules quelques femmes mariées à des hommes d’autres groupes ethniques.

Leurs classes sociales : les pauma (tatu), les peta hüna (fourmi noire), les OWA (une sorte de musaraigne), les hüna bürüri (boa).

Ils jouent de la flûte tôroä (40 cm de long)

16. Les TAIWANO

(eduria )

Colombie (22 p.)

Autodénomination : ukohinomasã .

Localisés sur les rivières Canéo piedra et Tatu affluents de la rivière Pira-Parana. 8 subdivisions

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17. Les YURUTI

Etat d’Amazonas et Colombie (200 à 350 locuteurs)

Autodénomination : yutabopinõ.

Partie supérieure de la rivière Paca (affluent de la rivière Papuri)

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image sergio bartelsman pour unesco

L’importance du chamanisme chez ces peuples

Les experts rituels sont toujours des hommes mais les femmes selon leur cosmovision seraient déjà naturellement chamanes ne serait-ce qu’en raison de leur nature qui leur a donné des menstruations et le pouvoir de faire naître des enfants.

Dans cet état d’esprit par exemple les barasana appellent Romi kumu(femme shaman) une divinité féminine créatrice ou vieille femme de la terre qui est aussi connue sous les noms de ye’pa büküo ou yeba büro pour les tukano et les desano.

Trois éléments de base : le ciel, la terre et la pègre

La cosmologie est constituée de trois couches de base : le ciel, la terre et la pègre. Chacun est un monde en soi avec ses êtres particuliers compris en termes concrets et abstraits.

Le ciel pourrait être aussi bien le monde du soleil, de la lune et des étoiles, le monde des oiseaux en vol, celui de la cime des arbres ou bien la tête ornée d’une coiffure de plumes rouges et jaunes couleurs du soleil.

La pègre pourrait être par exemple la rivière des morts sous la terre, l’argile jaune en-dessous de la couche arable où les gens sont enterrés, le monde aquatique des rivières terrestres.

Les mariages entre les différents groupes relèvent des dimensions cosmiques. Avec la particularité qu’ils ont en commun de tous descendre de l’ancêtre anaconda, ceux-ci peuvent alors se manifester sous la forme d’un jaguar ou celle d’un aigle harpie, dans un monde de transformation dans lequel les prédateurs du ciel de la terre et de l’eau sont complémentaires et se valent.

Pour prendre quelques exemples d’unions ; les barasana s’unissent avec les bara car dans la mythe barasana, yeba (la terre) leur ancêtre en forme de jaguar était mariée à yawira, la fille du poisson anaconda ancêtre des bara.

Les bara, les makuna et d’autres peuples sont les gens de l’eau. Les barasana et les tukano sont les gens de la terre et les tatuyo et les desano sont les gens du ciel.

image sergio bartelsman pour unesco

Le chaman

Il faut distinguer deux sortes de catégories de chamans :

  • Le yai (jaguar)

Il agit en temps qu’intercesseur entre le monde extérieur et les animaux de la forêt. Son rôle est important pour la chasse, la guérison (des maladies et des maladies causées par des actes de sorcellerie, des vengeances) en soufflant de la fumée sur les corps et en agissant par l’imposition des mains. Le yai est puissant mais peut-être aussi dangereux que l’animal qu’il représente. Il peut lutter contre la sorcellerie mais peut également la pratiquer.

  • Le kumu

C’est plus un savant, un homme de science qu’un chaman. Il a un statut plus élevé que le yai et joue un rôle dans la prévention de la maladie ou du malheur, il officie lors des rites de passage, nomme les nouveau-nés, officie lors des danses rituelles.

image sergio bartelsman pour unesco

La maloca c’est le monde

Dans leur symbolique et leurs mythes, la maloca est le monde et le monde est une maloca. Son toit de chaume est le ciel, les poteaux qui la soutienne les montagnes, les murs sont les chemins des collines qui entourent le paysage visible au bord du monde. Sous le plancher coule le fleuve des morts.

La maloca à deux portes : la porte des hommes ou porte d’eau à l’est et la porte de la femme à l’ouest. Dans cette région équatoriale, les rivières coulent de l’est vers l’ouest (de la porte de l’homme à la porte de la femme).

Si la maloca est un monde elle est aussi un corps : celui de canoë qui ressemble à celui de l’anaconda et elle contient les corps des enfants en son sein. Tous ceux qui vivent dans la maloca sont les enfants du monde.

Dans une perspective symbolique des hommes, la maloca représente aussi un visage : la face peinte de la maloca est le visage de l’homme, la porte de l’homme est sa bouche, la faitière et les murs latéraux sont la colonne vertébrale et les côtes, le centre de la maloca est le cœur et la porte de la femme représente l’anus.

Pour les femmes, les choses sont inversées : la porte de la femme est la bouche, la porte des hommes est le vagin et l’intérieur de la maison est le ventre.

Un territoire spécial comme une grande maloca

Le savoir traditionnel des chamans jaguars du yurupari (hee yaia keti oka)

Il s’agit du patrimoine culturel des groupes ethniques qui vivent le long de la rivière Pira-Parana. Ce savoir est inscrit depuis 2011 au patrimoine culturel et immatériel de l'unesco.

Selon la sagesse ancestrale le Pira Parana (hee hoko = rivière des eaux yurupari) est le cœur d’un grand territoire particulier nommé hee yaia godo-bakari (territoire des jaguars du yurupari).

Cette région est constituée des bassins du rio Negro et de la Caqueta Japura et considéré comme la grande maison communautaire (haho wii).

Le grand territoire yurupari est aussi un corps humain qui respire et possède des organes et des sens pour le maintenir en vie. Ces organes sont les lieux sacrés qui recèlent une énergie vitale et spirituelle.

Avant l’apparition de l’être humain, yurupari était un anaconda vivant comme une personne. Il était très puissant et dirigeait la terre. Voyant qu’il ne pouvait plus continuer à vivre comme une personne, il se sacrifia et se ses cendres sortit un palmier dans lequel seront fabriquées les trompettes sacrées contenant le pouvoir de l’origine et seront distribuées aux hommes.

Dans le système de gouvernance il y a l’intervention de plusieurs personnes aux rôles précis :

  • Le propriétaire de la maloca dirige la maloca où se déroulent les rituels
  • Le guérisseur yurupari dirige le rituel principal hee biki.
  • Le maître orateur enseigne l’histoire du monde
  • Le maître des danses interprète les chants et dirige les danses cérémonielles pour la guérison et la transmission des connaissances
  • Les jaguars du yurupari protègent le guérisseur durant les rituels
  • Les nourriciers sont responsables de la santé des femmes pendant le cycle reproductif. Ils prennent soin des garçons de leur naissance jusqu’au rituel yurupari et des filles jusqu’à leurs premières mentruations.
  • Les gaboa (initiés) s’occupent des garçons initiés
  • Les femmes s’occupent de l’alimentation et des soins de santé. Les femmes ménopausées s’occupent des initiés.

Chaque groupe ethnique possède ses propres trompettes de Yuruparí qui sont au cœur du rituel de Hee Biki. Lors de ce rituel extrêmement strict, des règles traditionnelles pour préserver la santé des personnes et du territoire sont transmises aux jeunes garçons dans le cadre du rituel d’entrée dans l’âge adulte. Le savoir traditionnel concernant les soins aux enfants, les femmes enceintes et la préparation des aliments est transmis entre femmes.

source : unesco

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Les rituels

Le cycle annuel est ponctué de toute une série de fêtes collectives avec des chansons propres à chaque groupe, des danses avec des instruments de musique marquant les évènements importants de la vie : rites d’initiation, naissances, mariages, décès, abattage des parcelles, construction d’une maison….

On peut distinguer entre autre la fête de la bière (cashiri) qui est une fête importante dans les liens sociaux où une communauté en invite une autre pour danser et boire la boisson cashiri en remerciement d’un coup de main donné pour un abattage ou la construction d’une maison ou bien pour la célébration du nom d’un enfant, d’un mariage ou autre.

Les échanges cérémoniels ou daburikis donnent aussi l’occasion de fêtes ainsi que les rites yurupari qui sont célébrés avec les flûtes et les trompettes sacrées. Les instruments du yurupari ne peuvent être vus et manipulés que par les hommes adultes. Ces rituels comprenant les instrument représentent l’expression la plus complète de la vie religieuse des indiens ainsi que la synthèse d’un certain nombres de thèses : l’ascendance, l’identité, le sexe et la reproduction, les relations entre l’homme et la femme, la croissance et la maturation, la mort.

Sources : mirages du masque Henry Pernet, socioambiantal, unesco

Rédigé par caroleone

Publié dans #indigènes et indiens, #Brésil, #Colombie

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